LIBRE DE S'ENNUYER

Il est 18h30. L’atelier a commencé depuis une heure maintenant… Il a été le lieu, déjà, de sensations et d’expressions, d’émotions aussi. De partages.
Le temps est venu de proposer un temps particulier aux participants qui me connaissent depuis 8 séances déjà. Une écoute en pleine conscience…
De la musique, et tout ce qu’elle dit de nous en cet instant. Tout ce qu’elle crée, dans l’espace intérieur qu’est notre corps, comme dans l’espace extérieur, nous entourant.
Les participants manifestent leur envie, c’est une expérience nouvelle pour eux, et je les sens toujours curieux d’apprendre sur eux-mêmes. Je les sens à leur place ici.
Je commence l’animation de la pratique.
Esprit disponible, corps bien présent… Position en bord de chaise, genoux plus bas que le bassin.
Équilibre.
Respiration.
Verticalité.
Je me sens reliée à ce que je suis en train d’animer… Présente et, à la fois, détachée.
Je mets le premier morceau de musique sur play.
La voix de Dhaffer Youssef s’envole dans la pièce, la lumière des lampadaires au dehors éclaire les yeux fermés des participants. Parfois, les phares d’une voiture animent de rayures fiévreuses les murs blancs de la pièce…
Pendant un instant, tout est juste, présent, plein.
Le morceau se poursuit…
Tout à coup, pour moi, tout change… Quelque chose émerge en moi et c’est terrible…
Tout à coup, je m’ennuie !
Plus rien ne m’apparaît nouveau alors que c’était le cas quelques instants auparavant. Soudainement, chaque note me paraît vaine, absorbée par l’ennui. Chaque raie de lumière comme un déjà-vu, et chaque œil fermé dans cette pièce, chaque corps présent : une répétition…
Je fais ce terrible constat. Et je dis terrible, car c’est comme cela que je le sens d’abord, pendant quelques secondes qui semblent durer une éternité. Dans une culpabilité immense, dans le jugement.
Comment est-il possible de s’ennuyer face à de l’humain ?
Comment la sophrologue que je suis, formée dans ce regard phénoménologique, peut-elle s’ennuyer ?
Étrange, vraiment, comme le jugement que nous portons sur nous-mêmes peut-être dur parfois.
Quelques secondes après cette prise de conscience, je découvre autre chose.
Parce que j’ai accueilli cet ennui et la culpabilité qui l’accompagne : je ne suis plus en train de m’ennuyer !
Je suis en train d’apprendre de moi-même, simplement.
Je suis en train d’apprendre que l’ennui peut faire partie de mon travail.
Je suis en train d’apprendre que j’ai, parfois encore, du jugement envers moi-même.
Je suis en train d’apprendre qu’apprendre sur moi est une source inépuisable de savoir et de Joie.
De Joie, oui, car alors que je réalise que je ne m’ennuie plus depuis que j’ai accueilli l’ennui (vous suivez toujours?) c’est un éclat de conscience qui s’empare de moi et fait rire mon esprit et palpiter mon corps.
Je termine l’animation de ma séance. Les vécus partagés sont riches. Je suis toujours surprise de ce que chacun ressent, en propre. De ce que les notes font résonner d’eux.
Je décide de prendre la parole cette fois. Leur raconte mon vécu. Cet ennui qui fut le mien. Et nous rions ensemble, conscients de ce que l’ennui crée en nous. Conscients qu’il nous confronte à nous-mêmes.
Conscients qu’il est une source, une voie vers nous-mêmes… Si tant est que nous parvenions à le vivre.
La sophrologie ne nous évitera pas l'ennui, elle n'éloignera pas notre tristesse, ne réglera pas en un claquement de doigt notre colère (cela serait un peu louche non?)... Mais elle nous invitera à être plus conscients de ce que cela dit de nous et des situations que nous vivons, et peut-être de notre propre jugement...
Elle nous invitera à apprendre de nous dans la bienveillance... (pas simple tous les jours !) et à nous adapter pour rendre notre quotidien plus juste... Peut-être plus drôle aussi d'une certaine façon...
Aujourd’hui, j’ai vécu l’ennui comme pour la première fois.
Cela m'aura permis de comprendre que dans ce métier que je chéris, cela arrive aussi. Que cela ne vient pas forcément de l'extérieur, car les personnes m'entourant et les situations le sont rarement (ennuyeuses).
Que ce n'est peut-être pas si grave qu'on le dit.
Et qu'il n'est pas si vide, si tant est qu'on sache l'accueillir...
D'ailleurs : et si l'ennui était nécessaire ?